">
Des microalgues pour booster les défenses immunitaires, pour traiter l'eau ou nourrir les poissons dans les pays désertiques... Classé dans le top 12 mondial de la recherche en microalgues, le laboratoire du GEPEA à Saint-Nazaire multiplie les projets avec de nombreuses startups et grandes entreprises de plus en plus intéressées au process de valorisation de cet ingrédient très prometteur en termes de nutrition. Rencontre avec Jérémy Pruvost, directeur du laboratoire du GEPEA, et Pascal Jaouen, directeur associé.
C’est un laboratoire public de recherche installé à Saint-Nazaire et Nantes, qui associe différents établissements (Nantes Université, Oniris, IMT-Atlantique) et le CNRS. Notre domaine d’expertise est le génie des procédés, autrement dit, nous nous intéressons à tous les verrous liés à l’industrialisation de nouveaux procédés, nouvelles technologies, nouvelles applications pour l’industrie du futur. Nous sommes plus de 220 personnes dont environ 50 à St-Nazaire avec pour spécialité les bio-procédés de valorisation des microalgues, un positionnement scientifique et une expertise uniques en France. Si une microalgue présente par exemple des intérêts nutritionnels, notre travail va consister à mettre en place les procédés pour l’exploiter industriellement. Nous développons des systèmes de culture et des procédés d’extraction (bio-raffinage) des molécules d’intérêt comme par exemple des protéines, pigments ou lipides, afin ensuite de concevoir une chaine optimisée de production industrielle, tout en ayant à cœur de minimiser l’impact environnemental ainsi que la consommation énergétique du procédé.
Quand nous avons commencé ces recherches sur les bioprocédés à Saint-Nazaire au milieu des années 80, les microalgues étaient quasi-exclusivement utilisées pour nourrir les huîtres, palourdes et autres bivalves. La présence de nombreuses fermes d’aquaculture et de d’écloseries - nurseries dans l’ouest nous a ainsi permis de nous développer, en relation par exemple avec l’IFREMER Nantes et sa station de Bouin. Il y a tout juste 20 ans, Le GEPEA commençait également ses collaborations avec l’Agence Spatiale Européenne sur l’utilisation des microalgues pour les boucles de support de vie dans l’espace (Ingénierie circulaire). L’intérêt nutritionnel des microalgues pour l’Homme est plus récent. On s’est par exemple rendu compte que ces microalgues étaient riches en protéines, en acides gras polyinsaturés et polysaccharides notamment. En parallèle, des entreprises s’y sont intéressées comme AlgoSource, avec son expertise sur la spiruline et ses constituants aux propriétés anti-oxydantes. Il y a des millions d’espèces de microalgues et à peine une centaine est exploitée à l’état industriel.
Les microalgues sont très riches en protéines et vont apporter beaucoup d’oligo-éléments, de vitamines (B12) qui viennent en complément de régimes végétariens par exemple. La microalgue peut aussi avoir des activités spécifiques sur le corps, et devenir un complément alimentaire pour booster les défenses immunitaires ou favoriser la récupération lors d’un traitement par chimiothérapie. C’est l’étude clinique que pilote et co-finance par exemple AlgoSource en ce moment en partenariat avec plusieurs CHU du territoire national. Sur la nutrition, les demandes des industriels sont de plus en plus spécifiques. On y cherche aussi des sources de protéines pour les sportifs sous forme de poudre, de gélules, de boissons.
Les grands groupes de l’agroalimentaire (alimentation humaine et nutrition animale) s’intéressent aujourd’hui tous aux microalgues, pour entrer par exemple dans la composition du beurre ou élaborer des huiles riches en omega 3 pour diminuer le cholestérol. Les microalgues présentent l’avantage de ne pas avoir d’odeur, contrairement aux huiles de poissons. Depuis peu, on trouve même de la spiruline dans les aliments pour chiens ou pour les chevaux de course.
C’est très net. Les microalgues n’ont pas besoin de pesticides, elles consomment très peu d’eau et peu d’espaces pour se développer. Si l’on peut utiliser l’eau douce comme l’eau de mer, c’est un avantage par rapport à la raréfaction de l’eau que de pouvoir utiliser de l’eau de mer. Nous travaillons par exemple avec le Qatar qui importe aujourd’hui 90% de sa nourriture de l’étranger. Les microalgues constituent un fort levier pour eux grâce à leur étendue côtière, la présence d’eau de mer, de soleil et la surface désertique. Ils développent des élevages de poissons nourris à partir de microalgues dans le désert. Quatre chercheurs qatari sont ainsi venus faire leurs recherches au GEPEA.
Le Québec finance aussi une thèse pour limiter l’utilisation des antibiotiques dans les systèmes d’aquaculture, une autre propriété des microalgues. Nous avons également accueilli le mois dernier un chercheur australien travaillant sur le traitement de l’eau grâce aux microalgues, un sujet sur lequel l’Australie a une vingtaine d’années d’avance sur nous. Comme d’autres (UCLA-USA, Tsukuba-Japon …), ils viennent collaborer et s’intéressent à nos compétences sur notre capacité à changer d’échelle et à intégrer toute la chaine de la production jusqu’au bio-raffinage. Sur l’ensemble de nos activités liées aux microalgues, nous sommes passés de 3 thèses dans les années 2000 à 20 thèses par an aujourd’hui.
AlgoSolis est une plateforme de recherche et d’innovation qui nous permet d’aborder les verrous propres au passage à l’échelle préindustrielle. Cela répond donc aux enjeux actuels de cette filière en pleine émergence. Ainsi, ce qui sort d’Algosolis peut être directement transposable à l’industrie. Algosolis est le maillon entre la recherche académique et l’industrie. Nous sommes actuellement en train d’agrandir Algosolis afin de suivre la demande croissante en projets à accompagner. Nous réfléchissons également à avoir de nouvelles capacités de production dédiées aux applications en santé, et qui nécessitent un environnement extrêmement contrôlé (GMP « Good Manufactring Practices »). La région Pays de la Loire nous accompagne dans cette dynamique, notamment en soutien au projet de démonstrateur HealthPhase qui est l’étape préparatoire à cette extension, dans la mesure où y seront développés des procédés innovants dédiés aux usages des microalgues en santé. Ce type de plateforme permettant de développer les applications des microalgues dans le domaine de la santé sera une première mondiale.
Ils sont de deux types. Pour les pays industrialisés, il s’agit de trouver des produits qui viennent en complément de l’existant, pour leurs bienfaits sur la santé et aussi pour leur faible impact environnemental. Alors que pour les pays en développement, l’enjeu est plutôt la production de masse : pouvoir produire dans les zones confrontées à de fortes contraintes en termes de place ou de stress hydrique. Ce n’est pas étonnant que l’on en soit là en 2022, puisque les microalgues contiennent, en tant que premier maillon de la chaine alimentaire en milieu aquatique, tous les ingrédients nécessaires à la vie. Autour du lac Tchad, on mangeait des galettes séchées de microalgues riches en protéines il y a plusieurs siècles !
Si un grand groupe n’aura pas forcément intérêt à déménager parce qu’il pourra externaliser sa R&D pendant une période donnée (en général la durée d’une thèse CIFRE, 3 ans) au sein de notre structure, les startups en revanche ont des besoins très forts de proximité, et sont en attente de réactivité. Elles veulent interagir rapidement avec une équipe de chercheurs, former leurs futurs ingénieurs et techniciens supérieurs (IUT ou Ecole Polytech de Nantes Université), travailler au sein même du laboratoire. Quand on est une startup, il faut aller vite, obtenir des preuves de concept pour pouvoir déposer des brevets rapidement. Nous formons leurs étudiants, les ingénieurs, à tous les niveaux (du Bac au post-doctorat), et le tout sans investir énormément. Et plusieurs startups comme Algolight ou AGS Therapeutics sont hébergées chez nous. Les startups sont aussi accompagnées par tout un réseau de partenaires, comme Atlanpole et le Pôle Mer Bretagne Atlantique mais surtout localement et sur le terrain par CAPACITÉS, la filiale d’ingénierie et de valorisation de la recherche de Nantes Université, qui a créé une équipe "Microalgues" composée de 6 ingénieurs & techniciens basés à Saint-Nazaire. Le monde de l’innovation nous envie cet écosystème unique au plan international sur les microalgues, sur une telle unité de lieu et avec de réelles interactions humaines, scientifiques et entrepreneuriales. Selon la revue AlgalResearch, notre laboratoire est classé dans le top 12 mondial de la recherche et de l’innovation dans le domaine des microalgues.
Il faut 1,6 kg de CO2 pour produire 1 kg de microalgues. Le laboratoire GEPEA est ainsi impliqué, aux côtés de la PME AlgoSource, dans le projet Cimentalgue, qui est un projet de démonstrateur industriel installé à Montalieu (Isère) près de Lyon dans d’une cimenterie, dont la production de CO2 est récupérée pour alimenter des bassins de spiruline sur le site même de la cimenterie. Ainsi, un polluant devient un nutriment pour les microalgues, et donc au final une source d’alimentation. Total Energies, l’un des partenaires, voit aussi ici un moyen de produire à terme des biocarburants.
Dans la même dynamique, notre laboratoire accompagne le projet SAVANE qui vise la réalisation d’un démonstrateur en Guyane, pour profiter des conditions très avantageuses de cette région du globe pour la culture de microalgues. Ce sera l’un, voire peut être le plus grand d’Europe. En plus de la spiruline, une souche locale que le laboratoire a isolé en Guyane il y a quelques années sera mise en culture. C’est un peu un hasard, mais nos études ont montré que son potentiel pour les biocarburants est réel !
En savoir + sur le GEPEA