Filière hydrogène : « Il est important d’associer les PME du territoire à tous les projets dès maintenant afin qu’elles montent en compétences »

Filière hydrogène : « Il est important d’associer les PME du territoire à tous les projets dès maintenant afin qu’elles montent en compétences »

Comment faire monter en compétences les entreprises locales afin qu’elles puissent dès aujourd’hui répondre aux appels à projets dans le transport décarboné ? C’est tout l’enjeu du réseau Neopolia qui fait collaborer les entreprises dans les secteur maritime, aéronautique et terrestre sur des projets en lien avec les nouvelles propulsions axées sur l’hydrogène notamment.

Neopolia est un réseau d’entreprises dont la vocation est de fédérer et faire travailler ensemble les entreprises sur des enjeux business, au service du développement de filières industrielles dans les Pays de la Loire. Basé à Saint-Nazaire, il regroupe 240 entreprises, pour un total de 30.000 emplois. Rencontre avec Alain Leroy, Président de Neopolia, François Dallet (VP Aéronautique),  Pascal Lemesle (VP Marine) et Philippe Le Berre (1er VP).

Le développement des propulsions propres est en plein essor sur le territoire. De quelle manière le réseau Neopolia y contribue-t-il ? 

Le principe de Neopolia est de fédérer des entreprises et des compétences autour des activités maritime, aéronautique, énergétique, mobilité terrestre et énergie marine renouvelable. Notre accompagnement porte sur la manière de les aider à prendre des parts de marché supplémentaires ou complémentaires. L’évolution des contraintes environnementales constitue bien sûr un enjeu sociétal pour nos membres PME, mais aussi une opportunité de développement et de diversification.  Au sein du Cluster Energie, nous avons intégré l’ensemble des « Energies décarbonées » pour répondre aux appels d’offre autour du biogaz, de l’hydrogène, et du solaire dans une moindre mesure. En 2019, nous avons lancé un groupe de travail transverse multi clusters sur l’hydrogène. Ce  travail de référencement a conduit à identifier 51 entreprises souhaitant s’engager dans ce nouveau segment industriel. Si les technologies et les systèmes de distribution de l’hydrogène ne sont pas encore matures, il y a néanmoins toute une expérimentation à apprendre. Nous sommes dans une phase d’acculturation et de formation aussi bien sur les usages que sur la technique mais ce groupe répond d’ores et déjà à des appels à projets. Vous pouvez proposer toutes les solutions techniques, celles-ci ne donneront rien si le réseau de distribution ne se développe pas, ou si le consommateur n’en a pas besoin.

Quels sont les principaux projets accompagnés par Neopolia sur ces nouvelles propulsions (hydrogène, électrique…) ?

Dans le secteur marin, Neopolia a permis de faire éclore deux projets. Le premier, en lien avec les besoins propres aux champs éolien marin, a été d’analyser la faisabilité d’installer une propulsion hydrogène sur un navire de transports de personnel. Ce travail d’une durée de 10 mois a rassemblé 8 entreprises du réseau Neopolia. L’objectif était de fournir une solution 100% hydrogène pour ce navire. Cette étude paraissait au départ utopique quant à la disponibilité de la motorisation hydrogène et le modèle économique d’un tel bateau. Or, nous avons réussi à démontrer que la solution d’un bateau « zéro émission » est possible en fonctionnement pendant les trois quarts de l’année (avril – novembre) dans nos secteurs lorsque l’on a une hauteur de houle inférieure à 1,75m. Revers de la médaille, l’investissement est très élevé quant à la construction, l’exploitation et les conditions d’avitaillement du bateau. Nous contactons actuellement différents opérateurs pour voir comment cette solution pourrait être acceptée et testée aussi bien sur l’ensemble de  sites de champs éoliens. 

Le deuxième projet est l’élaboration d’une plateforme de démonstration, de qualification et de formation pour l’utilisation de système « zéro émission ». Il s’agit de construire une vedette côtière ou estuarienne dont l’objectif serait de modifier le système de propulsion du navire en fonction des utilisations. Elle pourrait servir à des industriels qui ont besoin de qualifier de nouveaux systèmes, des utilisateurs pour connaître l’intérêt énergétique de telles installations ou des écoles pour la formation des ingénieurs et marins. Ce bateau ferait entre 15 et 18 mètres. Nous cherchons à regrouper autour de Neopolia des acteurs qui pourraient financer le développement de cette vedette. Ce démonstrateur peut servir les usages portuaires, les transports estuariens, les pêcheurs comme le marché du nautisme, mais aussi l’enseignement supérieur comme l’ENSM pour leurs étudiants.

Le gros problème avec l’hydrogène, difficilement stockable, est de savoir comment en assurer la distribution. Nous allons dans les prochaines semaines, présenter des solutions pour en assurer la distribution en mer et faire en sorte que les bateaux puissent se ravitailler en haute mer, sans avoir à se rapprocher des côtes et donc éviter des consommations inutiles.

Dans l’aéronautique, notre réseau d’entreprises dispose de compétences notables. Si Airbus se positionne sur l’avion vert, Neopolia pourrait se positionner sur le stockage de l’hydrogène liquide. Ce qui pourrait aussi bien servir l’aéronautique que le maritime. Nous ne désespérons pas de poursuivre les recherches dans la mesure où Neopolia concentre plus de la moitié des compétences de ce type de produit dans son réseau. 

Autre avant-projet, l’étude et la modélisation d’une transformation d’un ULM (photo). Cette étude prouve sa pertinence par un projet similaire qui sera mis en vol fin novembre. Des pays comme la Suisse imposent par exemple que le survol doit être à zéro émission. Un tel projet permet aussi d’envisager le transport de 6 à 10 personnes en aviation légère mais permettrait aussi d’assurer une base de formation.


Concernant la mobilité terrestre nous avons déjà un de nos membres qui a développé un véhicule autonome électrique type chariot élévateur. Nous souhaitons profiter de cette expérience pour lancer un projet de transformation d’un véhicule autonome forte charge pour passer sa propulsion de thermique à hydrogène. Enfin pour les puissances autour de 200 KW (autocars, camions), nous travaillons sur une hybridation pour les moteurs thermiques, qui va permettre d’injecter de l’hydrogène dans du gasoil permettant ainsi d’optimiser les émissions de 30%. Cette solution pourrait s’appliquer aussi aux véhicules utilitaires. Nous sommes conscients que cela ne résout pas la totalité du problème, mais il s’agit de trouver une solution pragmatique qui permet de préserver les emplois dans le secteur de la mécanique moteur, préserver les investissements des PME dans le secteur du transport tout en contribuant à la transition. Il s’agit d’utiliser les moteurs existants pour faire la transition, dans une logique de mix-énergétique et ce dans des délais extrêmement courts. Nous espérons que nous aurons le soutien des institutionnels pour ce projet vertueux et rapide de mise en œuvre.

Par ailleurs, pour les collectivités rurales, les îles et industriels, nous avons lancé une étude avant-projet d’autonomie énergétique sur la base d’un mix solaire et hydrogène afin de fournir un écosystème énergétique et de mobilité pour les acteurs locaux, ce qui permettrait de créer des sociétés de projet de territoires intégrant les industriels, les EPCI et les citoyens.

Pour l’ensemble de ces projets autour des propulsions propres qui vont servir les secteurs maritime, aéronautique ou terrestre, nous travaillons tous en réseau avec le Pôle Mer Bretagne Atlantique, le pôle EMC2, le pôle ID4Car, l’ENSM, Nantes Saint-Nazaire Port, la Région Pays de la Loire


Au-delà de ces projets « énergétiques », nous sommes toujours en discussion avec les collectivités et Nantes Saint-Nazaire Port sur notre projet « AGORA » afin de trouver la meilleure solution pour tous. Issu des réflexions dans le cadre de "Territoires d’Industries", il a vocation à optimiser l’investissement public et privé en mutualisant des moyens et infrastructures afin de servir au mieux le marché de l’éolien flottant ainsi que la construction navale sur le segment 100 à 150 m. C’est en effet un segment pour lequel il n’y a plus d’infrastructure en France à l’exception des Chantiers de l’Atlantique (par ailleurs partenaire du projet Agora) . Ce projet permettrait une réelle ré-industrialisation innovante en France et donc des créations d’emplois.

Quel type d’accompagnement les entreprises sont-elles en mesure d’attendre de Neopolia ?  Comment cet accompagnement se concrétise-t-il ? 

Nous pouvons apporter un accompagnement à 3 niveaux. Notre ADN est de faire du « business collaboratif » et d’assurer la production et la réalisation d’ensembles clés-en-main, tels qu’une structure industrielle, un bateau, ou des sous-ensembles (modules de production...).

Premièrement, Neopolia fait en sorte que ses adhérents puissent contribuer à la réalisation de prototypes, pour produire des équipements en amont, qui deviendront des équipements à part entière demain.

Deuxièmement, nous veillons à mettre à disposition des informations françaises et internationales pour que nos adhérents soient toujours à la pointe de l’information technologique.

Troisièmement, au niveau institutionnel, nous sommes présents sur les AMI pour mobiliser des équipes et aller chercher des financements afin de monter en compétences et réaliser le saut technologique. Il nous faut réussir à associer les adhérents pour traduire les contraintes administratives et institutionnelles et les aider dans la coordination avec d’autres partenaires, extérieurs au réseau, pour arriver à produire des résultats dans des délais courts. A ce titre, nous rejoignons « Team 2050 » pour fédérer les intervenants dans le secteur de la décarbonation maritime, au niveau national et européen.


Quelles vous semblent être les mesures à mettre en place à l’avenir pour que le territoire améliore encore son accompagnement sur ce type de projet ? 

Si on fait un zoom sur l’hydrogène, le système est en pleine phase d’exploration. Nous sommes encore dans une phase de prototypage, avec beaucoup de nouveaux projets portés par des grands donneurs d’ordre ou des start- up. Dans cette phase amont, les solutions ne seront pas disponibles avant 2025-2030. L’important est donc de s’assurer que les PME du territoire, via Neopolia, soient associées au maximum dans les projets qui émanent de la BPI, de l’ADEME,  de la Région ou des grands acteurs Territoriaux afin de pouvoir monter en compétences et être prêtes technologiquement au moment où le marché sera prêt. Nous nous devons de vraiment créer rapidement une filière industrielle performante, pour éviter de renouveler les lenteurs des EMR. 

Sans cette démarche volontariste, nous risquons d’aller chercher ailleurs, par exemple des entreprises américaines, alors que nous avons sur le territoire des entreprises capables de se mettre en ordre de bataille. Pour faire gagner les entreprises du territoire, il est primordial de mettre en place une logique de grappes et de privilégier le circuit court.

"Assurer un travail vertueux d’économie circulaire grâce auquel nos jeunes trouveront avec les compétences de nos établissements de formation, des emplois innovants sur le territoire pour une industrie vertueuse."


Plus globalement, quelles sont les autres actions mises en place par Neopolia pour accompagner ses membres vers la transition environnementale et sociétale ? 

Certains de nos membres sont plus avancés que d’autres en matière de responsabilité sociétale et environnementale des entreprises (RSE). NEOPOLIA anime des ateliers de partage d’expériences pour sensibiliser et motiver celles de nos entreprises qui n’ont pas forcément la taille ou les structures pour aborder la RSE. Par exemple, le groupe Thales incite fortement ses fournisseurs dans le domaine de l’inclusion. NEOPOLIA a développé une démarche inclusive pour travailler avec les ESAT, entreprises du domaine de l’Economie sociale et solidaire (ESS) qui sont associées à certains de nos projets. Nous mettons par ailleurs en avant de manière forte la thématique de l’éco-conception. Nous sensibilisons aussi beaucoup nos adhérents au recyclage, à la manière dont les déchets des uns pourraient être réemployés par les autres. 

Dans ce domaine de la RSE, il est primordial de légiférer et assurer un rôle important pour réglementer et apporter un socle commun dans le déploiement souhaité par les grands donneurs d’ordre, comme dans les indicateurs de mesure, ceci afin d’éviter les dispersions au sein des divers secteurs de marchés . Si chacun veut imposer sa grille à ses fournisseurs, cela ne permettra pas d’obtenir les synergies d’une organisation multi-secteurs, et peut générer une situation vite ingérable pour les PME. 

Du côté de l’environnement, nous sensibilisons les adhérents à l’approche systémique. Il ne s’agit pas de ne considérer que l’objectif zéro émission si, en parallèle, la production coûte plus de ressources naturelles. Nous sensibilisons les entrepreneurs à avoir une approche systémique : quel sera l’impact demain de mes décisions aujourd’hui ?  

Ce qui reste la ligne de Neopolia, c’est de déployer de façon pragmatique des axes de développements et de diversification. Les évolutions environnementales à venir sont propices à contribuer à cela tout en développant les compétences sur le territoire. Il ne faut jamais perdre de vue que le dirigeant de PME aura toujours une approche très pragmatique.

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