«Créer les conditions de rapprochement entre les chercheurs et les entreprises »

«Créer les conditions de rapprochement entre les chercheurs et les entreprises » Joëlle Martin-Gauthier, animatrice du Cluster Delphi de Nantes Université

Animatrice du cluster DELPHI à Nantes Université, la Québécoise Joëlle Martin-Gauthier multiplie les événements pour rapprocher le monde de l'entreprise et celui des chercheur.e.s dans le domaine de l'intelligence artificielle appliquée à la santé. Un maillon nécessaire pour promouvoir la santé du futur et faire éclore les projets d'entreprise à Nantes.


Vous êtes l’animatrice du Cluster DELPHI. Quel est votre rôle et comment en êtes-vous arrivée là ? 

J’ai toujours été intéressée par les technologies du numérique en santé. J’ai fait des études en pharmacologie à l’Université de Sherbrooke au Québec. Peu après mon arrivée au CHU de Nantes à la direction de la recherche et de l’innovation en 2019, le nouveau règlement européen du dispositif médical (MDR) est entré en vigueur. C’est à cette occasion que l’intelligence artificielle (IA) liées aux données de santé a commencé à émerger dans les publications scientifiques. Pas encore dans les usages. Le cluster Delphi a été lancé il y a un an avec le Professeur Pierre-Antoine Gourraud, Samuel Chaffron et le Professeur Harold Mouchère avec pour rôle d’animer ce lien entre les applications de l’IA et les données de santé. C’est ainsi que je me suis portée candidate au poste. 

J’ai la chance de pouvoir diffuser la culture scientifique de l’I-Site NExT au sein de Nantes Université, qui rassemble depuis début 2022 l’Université de Nantes, le CHU de Nantes, l’IRT Jules Verne, l’INSERM, l’Ecole Centrale, l’Ecole des Beaux-Arts et l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture pour la santé et l’industrie du futur. Tous ces partenaires permettent d’avoir un impact positif sur le territoire, de rassembler les forces vives et de faire en sorte d’avoir une meilleure cohésion pour que les chercheurs ne se sentent plus en compétition mais plutôt en collaboration. 


"Tous ces partenaires permettent d'avoir un impact positif sur le territoire, de rassembler les forces vives"


En quoi le cluster Delphi est-il une source d’opportunités pour les entreprises et les chercheurs ? 

DELPHI (DEep Learning Proposal for Health Sciences & Innovation) rassemble les chercheurs de Nantes Université et ses partenaires qui font de la recherche sur l’intelligence artificielle et qui utilisent les données de santé. On y retrouve à la fois des médecins, des professeurs d’université, des chercheurs fondamentaux. Delphi a pour vocation de stimuler les relations entre les académiques et le privé. Nous mettons les deux mondes en relation soit pour répondre à des appels à projets, pour participer à des concours dans l’innovation ou pour participer à des événements de la culture scientifique. 


Les mondes de la recherche et de l’entreprise paraissent souvent éloignés. Quelles actions organisez-vous pour les rapprocher ? 

Nous sommes en effet là pour créer de la proximité entre les deux. Nous créons les conditions pour que chercheurs et entreprises se rencontrent. Lorsqu’ils assistent à une session de pitchs, le chercheur et l’entreprise vont pouvoir engager le dialogue et réfléchir ensemble aux problématiques et solutions qui se posent entre l’intelligence artificielle et les données de santé. Des porteurs de projets parfois encore au stade de l’idée, nous contactent et nous les mettons alors en relation avec notre écosystème. Dans notre palette d’événements, nous organisons des plénières comme le Delphi Day, le Delphi Pub pour financer des publications, le Delphi Grant pour financer des stages, etc. Nous sommes aussi amenés à faire de la veille pour repérer des appels à projets pour des chercheurs, voire à les aider à y répondre. 


L'écosystème nantais de la santé est riche. Quel est le profil des acteurs avec lesquels vous collaborez ?  

Nous sommes en contact avec quelque 900 acteurs de l’intelligence artificielle et des données de santé. Les conférences sont animées par un réseau de plus de 30 chercheurs inter disciplinaires qui sont tous experts dans leur domaine respectifs, que ce soit sur le volet médical, numérique ou sociologique et éthique de l’IA, mais aussi en droit de la santé. Ils nous arrivent régulièrement de collaborer avec une douzaine d’entreprises du territoire comme Stimulin, Hera-Mi, Divoluci, SmartMacadam, Octopize, DirectoSanté, BioLogBook, Althenas, Sigma et CGI. De plus, nous apportons une attention particulière au réseau en participant aux initiatives d’Atlanpole, de DIVA EDIH, d’ADN Ouest, de Solutions & Co, d’Images & Réseaux et de Nantes Saint-Nazaire Développement.


Cette mise en relation donne-t-elle naissance à des projets de création d’entreprise ? 

Nous souhaiterions que cette mise en relation entre l’université et le privé puisse faire éclore des projets de création d’entreprise par nos chercheurs. Les exemples de spin-off et d’intrapreneurs à Nantes Université en IA et santé sont rares à ce jour car le développement et l’adoption de solution dans le domaine médical embarquant l’IA nécessitent plusieurs années et beaucoup de financement. Mais nous croyons que l’interdisciplinarité entre les cliniciens et les chercheurs en IA devrait partir du besoin des patient.e.s et des soignant.e.s pour une collaboration public – privé adoptée par le plus grand nombre. Le projet RHU PRIMUS, avec un budget de 23 millions d’euros, coordonné par le CHU de Rennes en collaboration avec le CHU de Nantes et Nantes Université est un super exemple de collaboration interdisciplinaire public – privé qui vise à mettre sur le marché un dispositif médical à usage des professionnels embarquant l’IA pour améliorer la prise en charge de la sclérose en plaques. Il n’est pas issu du cluster DELPHI mais il s’agit d’un bon exemple ! 


Quelles autres actions menez-vous en lien avec l’international ? 

Un autre exemple est la venue en septembre à Nantes du réseau belge TRAIL – Trusted AI Labs qui a pour but de promouvoir l’émergence de talents en IA en Belgique. De nombreuses rencontres ont eu lieu avec les chercheurs nantais qui ont pu présenter leurs travaux à la délégation belge, mais aussi avec les entreprises et les élus. Nous sommes impatients de voir les collaborations qui émergeront de ce « learning trip ».

Par ailleurs, Nantes Université est membre du consortium EUniWell, qui rassemble 11 universités européennes pour contribuer collectivement à construire l’Europe de demain. DELPHI organise un grand nombre d’ateliers à distance avec toutes ces universités partenaires. Plus récemment, nous avons reçu un avis favorable sur un projet de recherche dans le cadre des incubateurs de recherche pour évaluer les outils d’aide à la décision médicale embarquant l’intelligence artificielle en collaboration avec Linnaeus University, University of Murcia, Nantes Université et Semmelweis University. 

Dans le cadre de l’Année de l’Innovation Franco-Québécoise 2023, le cluster s’est mobilisé pour créer du lien avec les chercheurs québécois. Nous avons reçu des chercheurs francophones du CHU de Montréal, de l’Université de Sherbrooke et de Columbia University dans le cadre de la Nantes Digital Week et nous sommes heureux d’annoncer que des projets de recherche collaborative seront déposés conjointement.


En tant que Québécoise, comment percevez-vous l’écosystème de la santé nantais ? 

Vous avez la plus belle région de France. Je ne suis pas d’ici, mais si je n’y étais pas déjà, je voudrais être ici dans le Grand-Ouest. Je voudrais travailler à Nantes. Vous avez une méthodologie de travail carrée. Ici, cela paraît normal, mais je peux vous dire que ce n’est pas partout le cas. Ici, on a l’impression que les gens aiment leur travail, qu’ils sont bien dans leur travail, qu’ils sont fiers de ce qu’ils font. Les entreprises ont ici un certain respect de la recherche. Et vice-versa. Lorsque je vois des fonctionnaires rencontrer des entrepreneurs qui passent par des cotés plus disruptifs, la compréhension est agréable à voir. Vous ne vous en rendez sans doute pas compte parce que vous êtes dedans. Je suis chanceuse de vous avoir trouvé en cherchant sur internet « villes avec la meilleure qualité de vie » il y a 4 ans !


"Si je n'étais pas ici, je voudrais être ici dans le Grand Ouest"



Que répondez-vous à une personne qui serait réfractaire à voir l’IA arriver dans les données de la santé ?

Tout d'abord, je tiens à souligner que la réticence à l'introduction de l'intelligence artificielle dans le domaine de la santé est compréhensible, mais il est important de considérer les avantages potentiels que cela peut apporter. Si au bout du compte ça permet au médecin de passer plus de temps de qualité avec son patient et de trouver le bon traitement au bon patient au bon moment, ce ne serait pas éthique de s’en priver. Ce serait dommage de laisser à d’autres pays le privilège de chercher des solutions. Mon rôle en tant qu'animatrice du Cluster Delphi à Nantes Université est précisément de faciliter cette transition vers l'IA souveraine dans les données de santé en créant un pont entre les chercheurs, les usagers et les bénéficiaires, qu’ils soient professionnels, citoyens ou patients. La confiance passera par la médiation scientifique, sans vouloir tout expliqué ! Parce qu’après tout, je n’ai aucune idée comment fonctionne une IRM mais je suis d’accord pour l’utiliser avec des professionnels qui s’y connaissent. Pour le moment c’est nouveau, c’est normal et c’est important d’être méfiant et de s’informer, mais même si l’innovation a un peu d’avance sur la réglementation, le cadre juridique est posé. Le concept de boîte noire n’est pas nouveau, le corps humain est une boîte noire après tout !


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